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Entretien : William Blank

Claire Brawand

Transmettre la musique. William Blank est habité par cette mission qu’il décrit lui-même comme une obsession. C’est elle qui l’a mené à créer l’Académie Namascae, réunissant les membres de deux formations dont il assure la direction depuis leur création : l’Ensemble Namascae et l’Ensemble Contemporain du Conservatoire de Lausanne.

Une entreprise unique en Suisse à l’exception bien entendu de l’Académie du Festival de Lucerne dirigée par Pierre Boulez. William Blank nous a livré ses réflexions sur la musique – d’hier et d’aujourd’hui – et sa manière de l’approcher en tant que compositeur, chef d’orchestre, professeur et directeur artistique d’un ensemble contemporain. Entretien.

Musique en friche
„Tant que je serai en vie, je me battrai pour cela : transmettre la musique“. William Blank parle avec une ardeur mesurée et un dépit non dissimulé. A l’origine de cette conviction profonde, il y a un constat tragique : l’abandon total et généralisé où se voit laissé un pan immense de la musique du XXème siècle. Il n’y a qu’à voir les concerts à l’affiche de nos salles. Qui, de nos jours, programme Varèse, Messiaen et tant d’autres compositeurs qui ont marqué le siècle passé entre 1920 et 1990 ? C’est „le désert musical absolu“, regrette le musicien, „et il n’est pas question de laisser plus de soixante années de musique dans l’ombre.“
L’Ensemble Namascae : entre musique nouvelle et classiques du XXème siècle
Pour ce faire, rien de tel que d’être à la tête d’un ensemble contemporain et de décider soi-même de la programmation. Cette chance, William Blank la saisit lorsque, en 2004-2005, le percussionniste Jean-Marie Paraire et le tromboniste Jean-Marc Daviet lui font part de la volonté de créer un ensemble contemporain et lui proposent d’en prendre la direction. L’Ensemble Namascae – nom latin de la ville d’Annemasse dont il est originaire – est né. Il se compose de jeunes musiciens issus pour la plupart des conservatoires de Genève, de Lausanne et de Lyon et propose une saison de six concerts, articulée avec la Société de Musique Contemporaine de Lausanne (SMC). Des concerts-portrait y alternent avec des concerts à thème.

„Avec Namascae, je fais exactement ce que j’aime et ce que je veux, notamment les classiques du XXème siècle.“ Car s’il s’agit, d’une part, de faire découvrir au public des œuvres nouvelles, William Blank tient surtout à pallier l’ignorance déplorable des auditeurs relative aux jalons incontournables du siècle dernier. D’où la forme des concerts choisie : tous sont précédés d’une présentation orale qui vise à faciliter l’accès à cette musique, à livrer certaines clés d’écoute. „Je parle autant que je dirige“, explique William Blank, „car il faut préparer le public. J’aimerais replacer le concert dans une perspective d’instruction et oublier l’idée de divertissement.“
L’attention portée à la cohérence de la programmation va aussi dans ce sens. Il s’agit avant tout pour le directeur artistique d’éclairer intelligemment les œuvres les unes par rapport aux autres, de les replacer dans leur contexte et d’offrir ainsi aux auditeurs un voyage dans le temps. Cette action culturelle auprès du public rencontre un véritable succès. Elle se double de celle effectuée par Jean-Marie Paraire et Jean-Marc Daviet au sein des écoles primaires de la commune d’Annemasse. Chaque année, un projet pédagogique sous la forme d’une création artistique est élaboré et mené à terme avec la participation des élèves. Une manière de développer leurs connaissances musicales, d’aiguiser leur esprit critique et de laisser libre cours à leur imaginaire.

L’Académie Namascae : une entreprise unique en Suisse
Il n’est pas étonnant que l’approche pédagogique de la musique telle que la pratique William Blank l’ait conduit tout naturellement à créer en 2009 l’académie de musique contemporaine Namascae. „L’académie est née du désir que l’ensemble puisse être le centre de diffusion de son savoir et poursuive l’objectif qu’il s’est assigné depuis sa création.“ Aux titulaires de l’ensemble qui en forment le noyau viennent donc s’ajouter des jeunes instrumentistes issus de L’Ensemble Contemporain du Conservatoire de Lausanne, formé d’étudiant-e-s préparant un Master en art de l’interprétation musicale.
Le modèle est bien connu : c’est celui de l’Académie du Festival de Lucerne créée et dirigée par Pierre Boulez depuis plusieurs années. Un moyen de transmission fondamental selon William Blank, que personne n’a imité. „Je veux le faire avec les modestes moyens mis à ma disposition“, affirme ce dernier. Et de pointer du doigt ce cercle vicieux impitoyable dont il faut trouver la sortie : „Si une musique n’est pas jouée, donc enseignée – car ce que tu joues, tu l’enseignes depuis la nuit des temps – elle ne trouve pas son interprète et meurt. Étant morte, on ne la reprend pas“.

William Blank aime à se concentrer sur un compositeur. Souvent, il propose aux étudiants des programmes construits autour d’une figure, afin de les confronter à une pensée musicale, à une écriture particulière. C’est le cas du concert programmé le 19 mars prochain au sein du Festival Archipel, qui accueille l’académie en résidence depuis sa création. A la demande de Marc Texier, directeur de l’événement, le compositeur a élaboré un programme original et cohérent dédié au compositeur et ingénieur (!) Xenakis. „Ce qui importe, c’est le rapport à l’histoire d’un compositeur : d’où vient-il ? qu’a-t-il produit ?“ D’où la présence d’Octandre (1923) d’Edgard Varèse – „l’architecte des sons“ – et de la pièce intitulée Quad (1996) de Pascal Dusapin, toutes deux envisagées dans une perspective „xenaksienne“ : „Croire que l’on vient de nulle part et que l’on peut faire tabula rasa, c’est impossible.“
Le programme est d’abord travaillé indépendamment par chaque instrumentiste avant d’être abordé ensemble le temps de la résidence, soit 10 jours (et nuits) durant. Un système de couple a été mis en place, de telle sorte que chaque étudiant soit coaché par un titulaire de l’ensemble : un moyen d’apprentissage particulièrement efficace, qui a par ailleurs l’avantage de renforcer les liens au cœur de l’académie. Il serait dommage de manquer l’occasion d’aller écouter par vous-même le résultat de ce travail remarquable.
A noter que le concert de Genève sera redonné à deux reprises : à la Dampfzentrale de Berne (18.03.2011) ainsi qu’à la SCM de Lausanne (21.03.2011).

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