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Une musique à la tension inexorable

Julian Sykes

Le Lemanic Modern Ensemble traduit de manière remarquable le climat oppressant de « Cassandre »

Un flux en dérive. Dans Cassandre, rien ne s’arrête ; tout est mouvement. Un mouvement lent, ponctué d’éclats qui soudain en accélèrent le débit. Dès le premier coup de gong, le ton est donné. Il y a cette tension sourde, un côté lancinant. Il y a ces sonorités noires qui émergent comme des lames de fond. C’est à peine si quelques accalmies permettent à la prophétesse de reprendre son souffle.

Difficile de trouver oeuvre plus emblématique du style de Michael Jarrell. Cet « opéra parlé » a lancé la carrière du compositeur suisse il y a plus de vingt ans. Martha Keller en assura la création au Théâtre du Châtelet à Paris, en 1994, dans une mise en scène de Peter Konwitschny. Ni opéra ni mélodrame au sens strict du terme.

D’abord l’orchestre n’est pas dans une fosse, comme à l’opéra: il est littéralement « suspendu » au-dessus de la scène. Dès lors, l’équilibre voix-orchestre est difficile à réaliser. A la première lundi soir, la voix amplifiée de Fanny Ardant a paru par moments couverte par l’orchestre ( les 18 musiciens étant eux-mêmes amplifiés électroniquement ). Pour l’auditeur, il s’agit alors de choisir entre le théâtre et la musique – parfois les deux entrent en concurrence. Mais l’essentiel n’est pas là. Car les mots se perdent dans la musique, et la musique se perd dans les mots. Fanny Ardant l’a bien compris, dont le phrasé est éminemment musical.

Cassandre suscite des images. Cette musique a un caractère brut. Elle évite tout hermétisme propre à une certaine école contemporaine. Elle est très bien construite dramaturgiquement, alternant éclats et moments de repli. Le chef Jean Deroyer et le Lemanic Modern Ensemble sont remarquables de précision. Ils fouillent les timbres et creusent les textures. Les sons pourraient-ils être plus âpres encore ? La voix en pâtirait. Les passages à l’électronique ( sans instruments ) entrouvrent un espace hors temps. Sans tomber dans le travers de l’illustration pure, la musique de Michael Jarrell a un caractère cinématographique qui permet de donner corps aux mots.

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