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Xavier Dayer, un passé à malaxer

Tribune de Genève

Tribune de Genèce

Rocco Zacheo

Xavier Dayer, un passé à malaxer

Le compositeur genevois présente deux nouvelles pièces, aux côtés du Lemanic Modern Ensemble. Rencontre.

Scrutée d’un œil peu zélé, l’histoire en question aurait tout d’une rencontre improbable entre deux territoires musicaux que tout sépare, ou presque. En s’approchant un peu plus de ce point de tangence, on observerait la présence de deux ouvrages éloignés de notre présent: une lamentation sobre et poignante de John Dowland, «Go Crystal Tears», tout d’abord; mais aussi quelques traces des «Sept dernières paroles de notre Rédempteur sur la croix» de Joseph Haydn. Ce n’est pas tout. On y rencontrerait aussi – oh, surprise! – une figure marquante de la création contemporaine en suisse, le Genevois Xavier Dayer, qui s’est emparé de ces deux pièces du XVIe siècle finissant et du XVIIIe pour irriguer ses derniers travaux.

Le croisement des époques et des styles interroge et intrigue au plus haut point. Que faut-il attendre de ce long trait d’union musical? Les mélomanes en auront le cœur net aujourd’hui, lorsque les deux œuvres («D’après Go Crystal Tears» et «Ecce filius tuus») montreront leurs traits au Studio Ernest Ansermet, par l’entremise du Lemanic Modern Ensemble – à l’origine de la double création – et de son chef William Blank. Quant au cheminement qui a mené à ce projet, Xavier Dayer s’en explique d’un propos fluide et circonstancié, en ne délaissant aucun détail quant à ses intentions. Derrière le compositeur, surgissent alors les soucis d’intelligibilité du pédagogue, qui œuvre à la Haute École des Arts de Berne en tant que professeur de composition.

Loin des avant-gardes

Sac à dos bien lesté, lunettes à monture fine que les yeux semblent vouloir ignorer en regardant systématiquement par-dessus, grande tasse de café posée sur la table, l’homme nous attend dans l’ancien buffet de la gare de Lausanne, transformé en petit temple du manger végétarien. L’entretien est court, il faut aller vite et à l’essentiel. Alors, pourquoi donc Dowland? Un enracinement éloigné prend forme dans l’explication. «C’est un compositeur auquel je suis particulièrement attaché pour l’avoir beaucoup fréquenté durant mes années d’étude de la guitare classique. En parlant un jour avec William Blank de ce projet, j’ai pensé à lui. Comme tout le monde, je suis imprégné par ce que je connais et par ce qui me touche particulièrement. Sans que j’en saisisse précisément les raisons profondes, je sais par exemple que j’ai toujours été attiré par le XVIIe siècle, par ses madrigaux et ce passage entre la polyphonie et la monodie. Je sais aussi que je suis à mon tour un compositeur polyphoniste qui n’a jamais cru à la possibilité d’une «tabula rasa» du passé, telle qu’elle a été proposée à une époque par les avant-gardes.»

La réappropriation de ce passé musical, sa renaissance sur les partitions du Romand, n’a pourtant rien d’un paresseux exercice de citation. Il relève plutôt d’un malaxage profond, rendant incertaines les traces de la matrice originelle. Prenez le processus qui a touché Dowland: il débute on ne peut plus simplement, mais il ne cesse de se complexifier avec les avancées de l’ouvrage: «En premier lieu, j’ai beaucoup écouté la pièce, je l’ai jouée aussi pour m’en imprégner. Puis, je l’ai utilisée comme si elle était devenue un élément crypté. En voulant passer par une image, c’est un peu comme si j’avais considéré «Go Crystal Tears» tel un palais autour duquel j’allais bâtir de nouveaux espaces. Et cependant, en terminant mon travail, on peut dire que j’ai détruit le palais ayant servi de structure de départ. Cette manière de procéder, par prolongements successifs, était beaucoup pratiquée par le passé. Par Bach, par exemple.»

Des rituels pour composer

Dans l’atelier de Xavier Dayer, on écrit donc au présent mais on ressasse aussi au passé simple. Cela vaut pour l’autre création de la soirée, dont le titre – «Ecce filius tuus» – nous renvoie à la «Deuxième Sonate» de la pièce de Haydn citée. Le Genevois s’en est emparé en suivant des rituels connus, «des façons de procéder qui s’apparentent à des exercices spirituels et qui génèrent d’autres niveaux de réflexion». La marche à pied, qui permet à tant d’éléments de se sédimenter et à tant d’autres de montrer leurs traits superflus, donne à Xavier Dayer des réponses cruciales. «Arrive un moment où, dans ce processus, je parviens à sentir l’œuvre. Je sais alors qu’il faut commencer à couper, à me débarrasser du grand volume de partitions cumulées. Aller à l’essentiel, simplifier mon langage, c’est peut-être ce à quoi j’ai le plus tendu ces dernières années. J’ai appris à ne plus percevoir le travail d’élagage comme un sacrifice.»

Le bagage de pièces écrites depuis 1996, année de la première commande, a pris un volume imposant. Quel est le statut de ce corpus? Alors que le train qui le mènera à Berne approche, Xavier Dayer allonge une dernière considération, résignée: «Une bonne partie de mes œuvres n’existe pas, puisqu’elle ne rencontre pas un interprète. Une pièce, c’est avant tout une lettre d’amour adressée aux musiciens et au public. Il ne faut jamais l’oublier.»


Lemanic Modern Ensemble, William Blank (dir.), œuvres de Xavier Dayer et de George Benjamin, Studio Ernest Ansermet, ve 17 mai à 20 h. Rens. https://lemanic-modern-ensemble.net (TDG)